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WandaVision : le ruban de l’histoire

Garanti avec de vrais spoilers dedans. A lire après avoir vu la série.

Mais ça peut aussi vous donner envie de la regarder, surtout après avoir lu l’analyse fouillée de l’ami Pierre :

L’imagination est un ruban sans fin. Pour dire les choses simplement : certaines fictions obéissent à une mise en abyme linéaire. WandaVision, nouvelle série de l’Univers cinématographique Marvel, prend la forme d’un ruban de Möbius. Ou pour être encore plus clair : nous regardons des personnages qui regardent d’autres personnages reprenant les rôles de personnages qui servent de modèles à la résurrection des précédents (dont un est décédé) dans une fiction dont font partie les premiers intégrés dans un imaginaire indispensable pour les regarder.

Les neuf épisodes de cette première saison forment un tout cohérent et omniprésent incluant de manière indissociable le récit et le spectateur pris dans une spirale sans début ni fin, une fois qu’il y est entré. La série est, elle-même, ce ruban (ou anneau) dont la particularité exposée en 1858 par le mathématicien allemand est de n’avoir aucun point de départ.

Réalité alternative

La sorcière Wanda Maximoff (Elizabeth Olsen) recrée à son propre usage un monde virtuel baptisé Westview dans lequel elle peut vivre avec son mari, l’androïde Vision (Paul Bettany) tué par le super-vilain Thanos dans sa quête des Pierres d’infinité dont la réunion lui a permis d’anéantir la moitié de l’humanité. Par amour et pour surmonter sa souffrance, Wanda emploie ses pouvoirs afin de fabriquer une réalité alternative débarrassée de la douleur qu’elle éprouve. Un univers en réduction capable de concurrencer celui qu’elle a fui.

Cet univers parallèle, installé dans la réalité, prend la forme de sitcoms célèbres de la télévision américaine telles que I Love Lucy, Ma Sorcière Bien-Aimée, le Mary Tyler Moore Show ou encore La Fête à la Maison et Modern Family. C’est dans ces décors dont elle maîtrise plus ou moins bien la datation qu’elle entame une existence avec Vision (virtuellement ressuscité) et leurs deux enfants jumeaux.

Mais cette entreprise attire l’attention de S.W.O.R.D., une entité chargée de veiller à la bonne administration de l’existence des super-héros Marvel et donc de mettre fin à la petite aventure de Wanda qui vient désorganiser le fonctionnement harmonieux du monde selon le MCU (Marvel Cinematic Univers).

Dans cette histoire – sur ce ruban – la réalité et la fiction entrent en concurrence, non seulement pour le spectateur mais également pour les personnages, ni l’un ni les autres ne parvenant à échapper à cette torsion d’un demi-tour qui a permis de transformer un simple cercle en un anneau réduit à une seule surface. Ainsi Vision tente de distinguer ce qui dans sa vie fictive est réel et ce qui ne l’est pas tandis que Wanda lui impose un ordre nouveau dans lequel la fiction qu’elle produit est préférable à cette réalité Marvel marquée par sa mort tragique et violente.

La réalité et la fiction ne sont plus les deux faces d’une même pièce mais des positions rivales et complémentaires progressant sur ce ruban sans fin. Le virtuel n’est pas l’envers du réel mais une partie intégrante de celui-ci. Aucun ne peut exister sans l’autre, chacun se définissant par lui-même et par des comparaisons seulement possibles dans la réalité de l’imaginaire et dans la virtualité des souvenirs. En clair, tous les êtres, y compris les personnages de fiction, sont engagés dans une quête individuelle inscrite dans l’ici et le maintenant, dans un culte du présent où chacun peut forger sa vérité et est renvoyé au doute. Il n’existe plus de notion objective et l’individu détermine ce qui est vrai pour lui. Plus post-moderne tu meurs.

Cette expansion du MCU (malgré la fermeture des salles de cinéma remplacées par les plateformes) s’inscrit dans une stratégie à long terme de Marvel Studios (et donc de Disney) de création d’un univers global et inclusif régi par sa propre narration. WandaVision est aussi une allégorie de l’Univers cinématographique Marvel comme si le ruban ne faisait que s’allonger au fil du temps.

L’imaginaire comme refuge

Comme rien n’est laissé au hasard dans cette entreprise, WandaVision s’intègre à merveille dans la réalité alternative que bâtit Marvel depuis trois quarts de siècle avec une attention de plus en plus clinique ces dernières années. Pour mémoire, le ruban de Möbius est l’instrument dont Tony Stark/Iron Man se sert à titre de formule mathématique dans Avengers : Endgame (2019) pour explorer le temps et empêcher Thanos de mettre à exécution son plan destructeur.

On a donc deux réponses concurrentes à la réunion des Pierres d’infinité : celle des Avengers visant à modifier le passé pour accoucher d’un présent supportable et celle de Wanda se réfugiant dans une réalité de substitution pour échapper aux changements trop rapides, trop brutaux et trop douloureux de ce passé. L’écho que prend cette seconde option après quatre années de présidence Trump et une campagne présidentielle mortifère résonne avec une intensité particulière.

La réalité n’est plus ce qui peut être démontré scientifiquement puisque la science ne joue plus son rôle d’étalon. La réalité est ce que je crois, ma conviction ayant pour moi valeur de vérité objectivée et universalisable. Comme les partisans de Trump ont puisé dans le complotisme les remèdes à leurs souffrances existentielles (la perte d’influence de l’homme blanc conservateur dans la société américaine), Wanda remplace ce qu’elle ne peut supporter par une réalité rendue acceptable.

Ce remplacement n’est pas une inaptitude pathologique à appréhender le réel, ni un dysfonctionnement des capacités cognitives, ce n’est même pas de la bêtise pure et simple. Non, ce remplacement est une démarche consciente et volontaire, un mécanisme de survie sociale dans un monde où la contradiction n’est plus tolérable tant les changements sont perçus comme menaçants et le temps d’adaptation nécessaire raccourci à sa plus simple expression. En clair, l’imaginaire devient un refuge permettant d’échapper à une évolution que l’on refuse ou que l’on juge impossible à assimiler dans un cadre temporel trop étroit.

Reste alors à organiser et structurer ce refuge et le meilleur moyen est de revisiter le passé. Ainsi Wanda crée Wandavision (une sorte de programme et de canal de diffusion de son univers fictif) calqué sur les sitcoms emblématiques des années 1950, 1960 ou 1970 et 1980. Elle joue sur le genre de la comédie afin d’enjoliver une réalité extérieure beaucoup moins colorée et heureuse – celle de S.W.O.R.D. – filmée dans les tons de gris et le plus souvent de nuit, symbole de la menace identifiée et d’une impossible existence.

Ce faisant, Wanda célèbre l’Histoire de la télévision américaine. Elle joue une partition nostalgique que comprennent parfaitement les Américains conservateurs, défenseurs d’un retour en arrière (avortement, droit de vote, égalité sociale, mariage hétérosexuel, etc.) qui les ramèneraient à une époque où le monde était organisé selon leurs besoins et leurs valeurs.

Ces besoins et ces valeurs sont symbolisés par le mythe récurrent de la petite ville, ici Westview, construite au fil de la conquête territoriale du pays et dans laquelle il fait bon vivre. Ce mythe, associé à celui fondateur de la frontière, demeure un point d’ancrage fort dans l’imaginaire américain où la communauté locale reste encore la promesse et l’expression de l’American Way of Life. Comme dans toute démarche réactionnaire, l’enjeu est d’occuper un espace, réel ou virtuel, afin d’y asseoir une chronologie maîtrisée.

Le procédé, pas très subtil mais toujours efficace des méta références, garantit l’attention des fans les plus assidus qui éprouvent un plaisir enfantin à ramasser les « easter eggs », ces petits indices déposés discrètement dans chaque épisode. Cela aide à compléter le scénario et cela garantit un caractère ludique et surtout inclusif d’appartenance à une communauté de connaisseurs. Un gage de fidélité.

Là où la série atteint son point le plus subtil est dans l’utilisation du temps et de l’espace. Le présent ne cesse de courir le long de ce passé. Exactement comme la fiction ne cesse de contester le réel. On assiste alors à une double circulation qui s’intègre harmonieusement pour venir nous murmurer ce petite message à l’oreille : jamais le virtuel n’a paru aussi réel et jamais son attrait n’a paru aussi grand au point de sortir de la seule sphère du divertissement pour investir de nouveaux champs existentiels et répondre à des peurs croissantes.

Pierre Serisier