Une réflexion sur les enjeux liés au progrès numérique.
Par Aurélie de la Cotardière.
Du capitalisme industriel, nous sommes passés à l’ère du capitalisme numérique, titrait un éditorialiste à l’aube de la pandémie ; sur le plan micro économique, notre quotidien, nos relations mais également nos pratiques de travail et de loisir, l’éducation et la santé, tout comme à un niveau macro-économique, notre monde est conditionné au capitalisme numérique, algorithmiquement assisté, dont la transformation s’est drastiquement accélérée sous l’effet du Coronavirus.
À sa disposition les leviers suivants : le quantique, l’exploitation des données, le métaverse [1], l’intelligence artificielle, la robotisation… Comment contrôler ce nouveau système, faut-il le craindre ? Ce monde numérique est devenu le nôtre, quelles lois, quels cadres, quelle éthique faut-il mettre en place pour maîtriser cette révolution technologique ?
Les puissances publiques doivent se réinventer face à ce récent défi mais c’est aussi un enjeu d’éthique et de conscience environnementale personnelles dans la relation de chacun au numérique. Les data sont devenues les ressources premières d’aujourd’hui et face à cette nouvelle donne se profile un tandem indissociable, innovation et régulation. L’Europe est actuellement la plus avancée et la plus mûre dans ce domaine, son RGPD (Règlement Général de Protection des Données), règlement applicable à tous les états membres depuis mai 2018, répond à une attente mondiale. La bataille a été perdue quant au cloud mais ici se présente une occasion de leadership pour l’Europe.
En complément du RGPD, la France s’est dotée d’un régulateur numérique le PEReN (pôle d’expertise de régulation numérique), « un service à compétence nationale pour analyser le fonctionnement des plateformes numériques et mettre en place ou adapter leur régulation ». Le lien entre régulation, droit et technologie a donné lieu à la mise en place d’algorithmes qui étudient ceux des plateformes, afin que ces derniers ne contreviennent pas au droit de la concurrence et des consommateurs.
Encadrement, régulation mais aussi développement durable
Le numérique est à l’origine de 4% des gaz à effet de serre et la projection prévue est de 15 %. L’objectif est que ces émissions n’atteignent pas ces 15%.
Il existe heureusement des algorithmes dits frugaux moins gourmands en énergie et dont l’impact est moindre. Une autre source de maîtrise réside dans l’utilisation : utiliser des algorithmes énergivores en médecine pour du diagnostic ou dans une entreprise pour produire mieux et différemment peut se justifier, moins dans le cas de consommation de biens plus ou moins utiles.
Enfin, travailler en edge, au plus près de la machine -en périphérie de celle-ci-, une pratique largement adoptée par les start-up notamment : des technologies très puissantes commencent à émerger et rendent possibles les calculs de manière frugale, générant ainsi une économie d’énergie mais aussi du temps de latence, au lieu de de faire remonter toute la data dans de lourds algorithmes au sein du cloud. Les opérateurs sont davantage en maîtrise de ce qu’ils font, et la puissance de calcul n’est pas amoindrie mais développée et plus rapide.
Autre avancée technologie innovante majeure, source d’économie : les jumeaux numériques, « digital twins » ; le principe est de recréer une machine ou un processus en simulation purement numérique, à un extrême degré de précision. On teste avant de créer, c’est ce qu’a fait Tesla à Berlin. De fait, une boucle de rappel numérique est initiée, l’IOT (Internet Of Objects, c’est l’interconnexion entre des objets et des lieux et/ou environnements), autrement dit de l’intelligence embarquée dans tous les produits, permet de vérifier et de corriger quasiment en temps réel, à une rapidité fulgurante. Cette boucle de rappel positive constante a été beaucoup utilisée pour les vaccins, c’est l’illustration de la combinaison extrêmement fructueuse de l’industrie et du numérique qui a permis l’élaboration d’un vaccin en 18 mois ! De l’innovation « dure » en somme… Pour rappel, l’intelligence artificielle que l’on pourrait définir par l’équation algorithmes plus data (ou données) plus puissance de calcul, est l’une des avancées majeures du digital, en médecine comme dans de nombreux secteurs y compris dans la vie de tous les jours, via les objets connectés.
Ce progrès numérique y sommes-nous tous associés ?
Il existe une fracture digitale de grande ampleur : un quart des Français ne seraient pas à l’aise avec le numérique ou en difficulté, ce n’est pas uniquement géographique, mais également une question d’âge. Face à un problème majeur dans un monde qui change vite, il n’y a jamais une seule réponse adaptative, mais nombre de réponses, il faut de la diversité pour s’adapter au mieux. Des solutions apparaissent : sensibiliser et expliciter ce qu’est l’IA, le cloud, la cyber défense…, des termes qui sont loin d’être compris par tous ; former aux nouveaux outils ; instaurer le déploiement de l’équivalent d’écrivains publics, version numérique.
Certains de ces axes d’amélioration ont vu le jour, l’État a mis en place en partenariat avec les collectivités 4000 conseillers numériques, ou médiateurs, sur tout le territoire. Le programme Chiche, un développement conjoint entre l’INRIA [2] (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) et l’Éducation nationale : en classe de seconde un scientifique et un ingénieur interviennent pour informer les élèves sur l’intelligence artificielle, l’utilisation des outils numériques, les implications liées au partage de données, etc. et ainsi permettre une compréhension affinée de l’intelligence artificielle afin de maîtriser les interactions avec son smartphone, l’utilisation d’applications, etc. et non être en servitude.
La crise sanitaire et le développement digital ont aussi modifié les habitudes de travail. Le télétravail a été largement adopté, dans les secteurs d’activité qui peuvent le mettre en place. Une réorganisation d’un autre type se profile également, signe d’une mutation des mentalités, l’évolution des contrats de travail : actuellement très transactionnels, les jeunes générations aspirent à autre chose, une prise en compte de priorités nouvelles, notamment d’espaces de « respiration » dans la conduite de leur activité professionnelle. Également très sensibles à la décarbonation de l’économie, ces collaborateurs ou entrepreneurs des générations actuelles veulent être témoins et acteurs du changement du monde. Et ce qui change justement, c’est leur quête de sens, leur volonté de « faire sens » dans la société.
Pour conclure, n’oublions pas que notre société est désormais une société dans laquelle la valeur des géants du numérique a doublé en un an. Les GAFAM pèsent aujourd’hui 9.500 milliards de dollars, à titre de comparaison, c’est un peu plus de quatre fois le PIB de la France. On peut donc dire que dans notre société, le paradigme d’innovation s’est en partie substitué à celui du progrès.
[1] Le métaverse est un monde virtuel fictif, où l’on peut créer et explorer avec d’autres personnes, travailler, jouer, apprendre… sans être présents dans le même espace.[2] L’INRIA a développé l’application « Tous Anti-Covid »